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276 -----------> XVII ème siècle

..........Au début du second millénaire il ne restait de l'amphithéâtre que d'imposantes murailles ellipsoïdales se dressant au-dessus des vignes et des landes de Saint-Seurin. Les gradins et les planchers en bois du monument avaient probablement brûlé au moment de l'invasion Barbare de 276-277 ; mais on peut aussi imaginer qu'ils furent laissés en ruines et petit à petit démantelés quand la ville enfermée dans le castrum abandonnera l'amphithéâtre loin de ses nouvelles limites.

..........Portes monumentales et grandes arcades (G),(H),(I),(K),(M),(V) lui donnaient l'apparence d'un palais dans l'imagination populaire ; " cet édifice ici tant bien fenestré a prou donné à songer aus gens "

..........Bien que désigné comme "arenas" au XIème siècle dans le cartulaire de St-Seurin, les ruines deviennent ensuite un lieu de légende: "et se sont trouvés d'habiles hommes et deçà, et delà des Pyrenées, qui nous ont fait de beaus comptes"; peut-on penser que les pélerins de St Jacques de Compostelle, qui vidaient généreusement leur sac de nouvelles et d'histoires fabuleuses, ont vu dans cet impressionnant amphithéâtre ruiné le palais de Galiane (ou Galliene), épouse légendaire de Charlemagne ? Ou bien, parmi les "beaus comptes" faut-il donner crédit à cette Gualiane, épouse de Cenebrun, roi de Bordeaux, qui aurait fait édifier le Palatium Galiane ? "Gualiana vero uxor ejus fecit fiari palatium gualiane, quod suo tempore decibatur nobilius et pulcherrius de subcelo "(Galliene, sa femme fit bâtir le palais qui dans son temps passait pour le plus noble et le plus beau qui fut sous le ciel).

..........Du IXème au XIIème siècle l'imagination populaire fait naître des légendes qui vont influencer toute la littérature du Moyen-Age; les plus célèbres sont inspirées par le personnage de Charlemagne, véritable héros du monde de la chrétienté.

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..........Une première légende (carolingienne) mêle les péripéties (imaginées) de jeunesse de Charlemagne et les récits de Rodoric, Archevêque de Tolède au XIIIème siècle; Charlemagne, très jeune, ayant été chassé par son père Pépin, se serait réfugié chez le roi Galafre à Tolède, l'aidant à guerroyer contre le roi de Saragosse. A la mort de Pépin, Charlemagne revient en France avec la belle Galiene, fille du roi de Tolède, qu'il épouse après qu'elle eut embrassé la religion chrétienne. En Aquitaine Charlemagne aurait fait bâtir pour Galienne le Palais de Bordeaux (Rodoric, TOL lib IV "Fama est apud Burdigalam ei palatia construxisse ").

..........L'Histoire, avec une majuscule, ne croise en aucun moment cette légende qui ignore la chronologie: à la mort de Pépin le Bref, en 768, Charlemagne âgé de 26 ans devient roi des Francs; rien n'indique qu'il ait dans sa jeunesse connu les terres ibériques … Les traces historiques à propos de Charlemagne sont bien éloignées les unes des autres et très souvent controversées.

..........Charlemagne a-t-il quelque part enlevé une belle Galienne ? Peu importe, mais il semble qu'au XIIIème siècle la légende (pourquoi pas le roman ?) de l'enlèvement de Galianne se soit répandu dans les pays de langue d'oc comme on peut le lire en vers provençaux par exemple dans "l'Histoire des Croisades contre les Albigeois", œuvre d'un poète contemporain. Quelle belle histoire pour les troubadours ! Et le souvenir de Galienne jalonne les anciennes routes romaines du Sud-ouest de la France: chemin Galien en pays Cernes, Font Galienne au Mas d'Agenais ; il existait même un Palais Galienne à Poitiers.

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..........Une seconde légende, peut être moins connue, nous est parvenue par le " Livre des Bouillons " (traduit par M. Delpit) qui raconte l'histoire de Cenebrun(B), comte du Médoc, fils de Gualienne et de Cenebrun, roi de Bordeaux. Gualienne est la fille ainée de l'Empereur Titus et Cenebrun le deuxième fils de l'Empereur Vespasien.

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"Ici est l'histoire contenant le mariage de Cenebrun, seigneur de Lesparre et de la fille du sultan de Babylonie.
La ville de BORDEAUX fut
fondée, longtemps avant la naissance de J-C, par Titus et Vespasien, Empereurs de Rome. Elle reçut pour roi Cenebrun, second fils de Vespasien et gendre de Titus. La domination de ce prince s'étendit sur tout le midi de la Gaule. Les Piliers de Tutelle furent construits par lui et Galliene, sa femme fit bâtir le palais qui dans son temps passait pour le plus noble et le plus beau qui fut sous le ciel…. Son second fils Cenebrun devint Comte du Médoc …. Galienne, qui ne pouvait vivre sans son fils, fit faire, à travers les bois épais qui la séparaient du Médoc, un chemin uni et droit comme une corde, qui allait de son palais jusqu'à la mer, qu'elle parcourait dans son char d'or … "

Illustration B : Le "Livre des Bouillons" évoque la légende du mariage de Cenebrun, fils de Galienne, Comte de Lesparre, avec la fille du Sultan de Babilonie

..........Le manuscrit de "La Coutume de Bordeaux" reprend cette histoire racontée par un auteur du Xème siècle; cette légende figure aussi dans " Le Livre Velu " de Libourne. L'Abbé O'Reilly situe Cenebrun de Lesparre en 258 … c'est à dire deux ans avant le voyage à Bordeaux de l'Empereur Gallien.

..........On peut donc penser, comme le Baron de La Bastie que "la fable du palais de la princesse Galliene, et le nom du palais, ne sont guère plus anciens que Rodoric de Tolède et que l'amphithéâtre de Bordeaux n'a commencé d'être appelé Palais Galien que dans le XIIème siècle pour le plus tôt " (19).

..........L'amphithéâtre païen a noué si fortement les légendes que des fragments de textes des auteurs qui les ont contées figureront gravés en 1999 dans la pierre des contremarches de la nouvelle place du palais Gallien, rappelant aux visiteurs des arènes qu'à côté des recherches menées par les historiens et les archéologues, l'imagination populaire peut aussi bien faire revivre les ruines avec des récits merveilleux et poétiques.

 

..........Pendant tout le Moyen-Age la légende a donc occulté la vraie nature archéologique du monument jusqu'à ce que Elie Vinet,(C) restaure à la fin du XVIème siècle la réelle vocation des ruines figurant dans les textes sous les noms de Palatium Galiana ou Palatium Galianum; l'humaniste, professeur au Collège de Guyenne, et qui travaille à reconstituer le passé gallo-romain de Bordeaux, a bien retrouvé le nom d'arenas qui désigne les ruines de l'amphithéâtre dans les vieux textes latins de l'église St Séverin "qui ont plus de cinq cens ans d'antiquité", mais l'érudit attribue l'édification de ces arènes à l'empereur Gallien; dans "le discours de l'antiquité de Bourdeaus présentée au roi Charles IX" E.Vinet indique à propos de l'amphithéâtre "qu'il eust esté ainsi appelé du nom de Gallienus, car Rome avait un empereur nommé Gallienus l'an de Iésus Christ deus cens cinquante et sept " et "que cet amphithéâtre eust esté basti sous l'empire de GALLIEN"

..........Explication qui sera reprise deux cent soixante ans plus tard par l'Abbé Patrice-John O'Reilly: "(Gallien) amolli par la volupté et les plaisirs, vint à Bordeaux (en 258 ou 260); il y fit jeter les fondements des arènes qui depuis le IIIème siècle portent le nom de Palais Galien"; l'abbé historien indique même (Tome I p 76) "que ce monument ne fut peut être jamais achevé".

..........La légende accompagne donc l'histoire de l'édifice ( n'a-t-on pas écrit que le sixième mur n'avait jamais été achevé?); la croyance en la présence de trésors enfouis dans les ruines hante l'imagination populaire au XVIIème siècle: le "bruit public" (la rumeur) dit que "les masures du palais renferment différentes choses depuis un temps immémorial, … comme argent monnayé et autres vaisselles d'orfévrerie …"; au dit de ce "bruit public" Louis Jarisse, cabaretier rue des Capérans, présentera requête aux Jurats de Bordeaux le 13 Mai 1626, demandant "permission de faire creusements et fouillements … et en cas de réussite de payer un certain quantum soit à la Ville, soit aux pauvres" (24). Personne n'a jamais su si Jarisse déterra un trésor ……

 

Illustration C : "L'Antiquité de Bourdeaus"
de E.Vinet, livre publié en Français en 1574. A.M.Bx E 6/11

..........Enfin un rapport d'intendant en maçonnerie mentionne en 1631 que les particuliers "font démolir, entre les arceaux, les murailles qui servaient d'empâtement pour les fortifications des arceaux, ce qui sera la cause que les murailles en recevront à l'avenir, chute et ruine … "; mais ces premières fouilles connues ne font état d'aucun vestige archéologique : les murs n'ont révélé ni secrets ni trésors !


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